Dans l’art : la Mariée de Duchamp

Marcel DUCHAMP,

Le Grand Verre ou La Mariée mise à nu par ses célibataires, même. (1915-1923)

Avertissement : La présente synthèse repose sur l’observation factuelle de ces éléments constitutifs, conforme à une grille d’analyse sémiotique. Seul le dernier paragraphe est une réelle extrapolation.

Description littérale

L’objet de ce visuel est une œuvre d’art abstrait réputée inclassable. Ce sont des éléments insérés entre 2 plaques de verre formant rectangle vertical de grande dimension (277×176), matériaux divers, cadre en acier. La transparence de l’oeuvre induit la possibilité d’en faire le tour, bien que photographiée toujours du même côté. Les notions de gauche et droite pouvant s’intervertir, il est raisonnable de ne pas les ériger en signifiés absolus, même si l’orientation de la reproduction habituelle peut être privilégiée.

La partie haute, en moyenne articulée à gauche, en teintes de gris, noir et blanc, est essentiellement plastique, puisque rien n’y est reconnaissable de façon univoque.

Le milieu est vide, hors rails métalliques de rigidification du cadre.

Le bas comporte des éléments plastiques et d’autres iconiques, dans une teinte générale rouille, avec un remplissage moyen plutôt cadré à gauche.

Significations

Le « Grand Verre », ou « La Mariée mise à nu par ses célibataires, même », dépeint deux univers, haut et bas, mais vide au centre : son objet est défocalisé, comme inexistant ou dérisoire. Par la transparence du support, le spectateur est de fait invité à voir au travers de l’oeuvre.

La partie haute, lieu du céleste, est un assemblage de formes dont le « corps » gauche est mis en perspective par gradient de clarté, mais majoritairement indéfinies et abstraites, en dehors du « nuage », ou « voile » -de la Mariée ?- où trois ouvertures carrées s’opposent à la légèreté générale, fût-elle seulement inhérente à la position haute dans l’oeuvre. L’ensemble est très flottant, peu contraint, plus courbe que droit, plus féminin, et se termine par une grande apostrophe, sans suite : c’est le début du vide ou de la transparence intermédiaire de l’oeuvre.

Si le haut de l’oeuvre est largement en aplat et assez libre, la partie basse est marquée d’une perspective omniprésente, où tout s’enchaîne.

Construite en léger surplomb, l’observateur a l’impression de la « maîtriser », d’exercer un contrôle. D’une part sur ce groupe de figurines -les célibataires?- groupés presque en cercle sur la gauche, relégués derrière tous les autres éléments, traduisant un éloignement. Ensuite sur cette grande boîte allongée, dont la teinte rappelle la partie haute, qui est tout ce qu’il y a de plus stable mais porte déjà le mouvement de la roue à aubes. Puis tout s’enchaîne, tous ces éléments mécaniques qui renvoient à un univers plutôt masculin, où la rotation est omniprésente, de la ronde des figurines à la roue à aubes, aux roues crantées comme sorties d’une pendule, enfin aux trois meules. Leur sens de rotation est d’ailleurs indiqué par cette chaîne de petits cônes empilés de travers terminée par une chute pointant vers la meule de droite. Il y a dans tous ces rouages et engrenages une expression de transmission de mouvement perpétuel qui finit par un broyage dans ces trois meules reposant sur une table aux pieds Louis XV, ajoutant un accent de dérision.

Par extrapolation et référence au titre de l’oeuvre, on peut alors imaginer la mariée en haut, « sur son petit nuage » et/ou « toute voile dehors », qui « apostrophe » l’univers masculin du (quasi-)cercle de figurines interprétables comme les célibataires. Elle habiterait un lieu aussi gris que sa propre représentation, pour « faire tourner la maison », cette roue à aubes entraînant dans ce mouvement infini un système de broyage dérisoire, où le temps ne compte plus …

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