Une somme d’absences = une perte de sens

Voici un nouvel exemple d’étude sémiotique architecturale, que l’on pourrait qualifier cette fois de ‘tertiaire’ puisqu’il s’agit du ‘PPH’ ou Peres Peace House, siège de la fondation Peres pour la paix, qui abrite des bureaux, salles de conférence, archives.

Comme d’habitude en architecture, nous sommes soumis à des éléments essentiellement plastiques, plus perçus implicitement que consciemment interprétés. Nous allons voir que d’un point de vue sensoriel comme cognitivement, les attentes de l’usager sont largement déjouées.

Un lieu peu expressif

La désaturation générale des teintes et l’éclairage diffus neutralisent en partie les signifiés chromatiques issus des murs -menthe à l’eau, une teinte chlorophyllienne diluée, donc légèrement végétale-, qui restitue une sensation de fraîcheur, accentuée par la blancheur froide des néons.

La minéralité des matériaux est générale : le béton des murs et du plafond, la teinte sable du sol carrelé diffusent les caractères de la pierre : dureté et fixité, qu’aucune texture ne vient équilibrer.

Dans la géométrie de l’espace, l’horizon est barré par la mezzanine, le regard est bloqué à droite par un bloc de béton, et en hauteur par un plafond qui s’assombrit vers la droite. L’image ne bénéficie donc pas des signifiés habituels du ‘haut’ et de la ‘droite’ i du champ visuel : projet, imagination, liberté, lumière, idéal.

D’autre part, en dehors des strates murales, tout est orthogonal et horizontal : cette somme d’angles droits et de parallélépipèdes induit raideur statique et contrôle magistral.

En résumé on aurait, du sensoriel à l’abstrait, une prise de vue qui traduit le froid, la dureté, la raideur, la fixité, et l’uniformité. De quoi jeter le trouble pour un usager qui entre dans le lieu d’un projet de paix.

Une perspective limitée

Le regard tombe sur des lignes de fuite sans but : paradigme étonnant, l’usager ne reçoit aucune sollicitation chromatique ou graphique -aucun signe n’a de fonction d’index-, pour aller vers quelque chose ou dans une direction ou une autre. Ce choix serait une liberté si l’endroit n’était pas vide. L’image révèle plutôt une absence de perspective, doublée d’un horizon lourdement barré par la mezzanine.

Les lignes brisées des strates murales -seules traces d’un mouvement-, par nature hésitent sur leur direction, génératrices d’incertitude ou de nervosité. Les lignes tracées par les plafonniers sont également cassées, au lieu de lignes ascendantes porteuses d’élan.

Toutes ces brisures, ce manque d’élan, ce vide apparent ne semblent pas porter de projet. On comprend encore moins qu’il faille des murailles aussi massives, comme élevées pour protéger de l’extérieur avec une connotation de forteresse, un endroit vide.

Portée de ce regard

Perspective vide, froideur, raideur, immobilisme, protection, sont sémantiquement troublants dans un lieu emblématique de la paix. Chacun sait qu’elle n’est jamais définitivement acquise, mais l’idée qu’en donne un Dalaï Lama est toute de sérénité, de force intérieure et de rayonnement, à l’opposé de ce que nous voyons ici. Ce sont alors deux conceptions qui s’opposent.

Bien entendu, la portée de ces remarques est a priori limité à cette prise de vue. Une étude critique nécessiterait d’encadrer d’autres points de vue fixe de ce bâtiment.

Pour élargir la réflexion, si l’on note que la plupart des signifiés attendus des signes visuels architecturaux ne sont pas au rendez-vous, la question qui peut alors se poser est de savoir si cette somme d’absences ne se transforme pas en déficit réellement perçu.

i Le sens de l’écriture arabe, de droite à gauche, n’influerait que sur le sens de lecture de l’image.

Lire l’étude : AC ARCHI int tertiaire

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