Neurosémiologie : chimère ou réalité ?

Du visuel à ces signifiés

Un visuel est un ensemble de signes réunis dans un format non nécessairement rigide, sur un support donné.

Chaque signe tracé sur le support, appelé signifiant, est du point de vue neurophysiologique un stimulus visuel mémorisable, au travers d’une chaîne : sensation (rétine) puis perception et premières étapes d’identification.

Cette mémorisation est dite ‘perceptive’ : elle stocke les éléments visualisés à l’état brut, sans y attacher de signification. C’est le souvenir de tout ou partie d’un paysage, d’une affiche, d’une page publicitaire.

mémoire : support des signifiés

S’ensuit la reconnaisance de la scène visuelle, par reconstruction tridimensionnelle des éléments isolément, et intégration dans l’ensemble. Le processus identifie des éléments connus donc antérieurement mémorisés, et rappelés avec leurs qualités propres et leurs significations. Les autres, inconnus ou inattendus, n’ont pas de sens a priori, c’est par un exercice d’analyse, d’association, de transfert, de comparaison que nous leur attribuons des significations.

D’un visuel, nous allons ainsi mémoriser un souvenir personnel (mémoire épisodique), un réseau de significations (sémantique) ou une façon de faire automatique (procédurale).

Nous donnons une signification à ce que nous voyons dans un but précis : pouvoir nous en souvenir. Se souvenir, c’est avoir mémorisé (encodé), et se rappeler. A contrario, un visuel vide de sens est ‘oublié’ à peine perçu 1.

Ce que nous mémorisons d’un visuel, au-delà de la perception ‘brute’, correspond donc en réalité à ses significations, à l’ensemble de ses signifiés : c’est le domaine d’application de la sémiologie.

De la sémiologie à la neuropsychologie

Il y a donc un parallèle entre la sémiologie, qui détaille les signes perçus du visuel et analyse son ensemble pour en découvrir l’univers des signifiés, et le cheminement neuropsychologique qui va de la mémoire perceptive des stimuli jusqu’à la mémorisation des associations sémantiques complexes.

Du rappel explicite conscient …

Tout d’abord un constat : nous ne sommes certains d’avoir mémorisé (encodage) qu’au moment de nous souvenir (rappel). C’est donc que ce mécanisme d’encodage se déroule à notre insu, de façon non-consciente.

Se rappeler de quelque chose sous-entend un effort. Par une démarche volontaire, rapportable verbalement, on cherche à se souvenir de quelque chose, un événement, un nom, … . On parle d’un rappel explicite.

… à l’implicite non conscient

Mais le rappel peut être implicite, i.e. non conscient et non rapportable verbalement, notamment en phase d’identification. Deux processus y seraient actifs : un mécanisme ‘ascendant’ qui, dans l’exemple de la vision d’un carré, assemble les quatre segments de droites orthogonaux, et un ‘descendant’ recherchant dans nos mémoires une figure équivalente, les deux concluant à l’identification de ce carré.

Mais ce carré amène aussi ses propriétés : il est stable, fixe et solide, ce que nous savons depuis l’enfance, et dont le rappel est implicite : nous ignorons presque que nous le savons, alors que ce sont des signifiés fondamentaux du carré comme du cube. Ils ont été encodés lors d’expériences antérieures, par exemple dans la vie courante, lors de notre apprentissage du monde, par voie culturelle, ou par vécu personnel.

Ces signifiés rappelés implicitement influencent donc la compréhension de ce que nous voyons, au même titre que les rappels explicites.

sémiologie : une neuroscience qui s’ignore

Les neurosciences nous confirment aujourd’hui que les informations rappelées implicitement vont de la perception a minima jusqu’à la classification sémantique d’un élément, sont encodées durablement, et que ces signifiés implicites sont susceptibles d’affleurer la conscience et/ou de modifier des comportements.

La sémiologie s’attache précisément à recenser l’univers des signifiés d’un visuel : il y a donc déjà une convergence de finalité évidente, qui ne s’arrête pas là.

Sans préjuger du caractère explicite ou implicite du rappel des signifiés, la typologie sémiologique des signes visuels permet aussi de comprendre lesquels seront les meilleurs candidats à un rappel conscient ou non-conscient, par exemple sur une base perceptive, sensorielle ou émotionnelle.

L’étude sémiologique évalue également le paradigme selon lequel un même signe peut être rappelé sans conscience dans un visuel et explicitement dans un autre, ceci relevant de l’analyse du sens global du visuel à partir de ses éléments distinctifs 2.

En conclusion

Ce ne sont pas les signes, dont le mode de rappel -explicite ou implicite- est important, mais les signifiés qui y sont attachés.

Peu importe de savoir si l’individu est conscient ou non si l’on ne sait pas de quels signifiés ; réciproquement, un signifié non-conscient peut être jugé plus important car plus durable.

Neuropsychologie et sémiologie formeraient ainsi une dualité de compréhension du monde visuel.

Yves MERMILLIOD – avril 2014

1il peut néanmoins subsister, hors conscience, mais ne pourra pas être rappelé en tant que souvenir explicite.

2en sémiologie, c’est l’axe syntagmatique, dans le sillage de la théorie de la Gestalt.

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