La vie après le visuel

ou  l’a posteriori

La vision est le sens le plus important chez l’homme, et sa complexité est l’origine de beaucoup de recherches auxquelles la mémoire est souvent associée.

Seul le cerveau dicte ce qu’il mémorise ou non, de quelles façons (nature de mémoire et profondeur de traitement) et combien de temps.

Qu’il s’agisse de l’oubli prématuré d’un packaging ou au contraire du rappel inopiné d’une publicité presse perçue bien antérieurement, les méandres de la mémorisation constituent a priori un risque pour l’annonceur.

Un exemple

Telle publicité met par exemple en scène métaphoriquement une voiture ‘dévorant la route’, donc montrée avalant un tapis de bitume. La prise de vue est faite depuis le tapis, plaçant le spectateur dans la position d’être lui-même avalé.

Le même individu regarde plus tard un film de fiction où le héros ou héroïne est avalé(e) par un monstre 1. Un rappel mémoire vient associer cette situation au ruban de bitume, et des signifiés émotionnels négatifs de morsure (mort sûre!), fragilité, destin, proie, se trouvent alors sémantiquement associés à la publicité 2.

Le tout peut rester totalement non conscient, par exemple le fait que le spectateur se trouve sur le tapis n’est pas forcément perçu consciemment, ce qui n’empêchera pas le rappel mémoire, et le lecteur d’avoir d’emblée une réaction défavorable à la voiture en question, voire même à la marque.

Cas d’école ? Mais le risque est là, lié à la prise de vue, et il s’inscrit dans le temps.

Pour limiter les risques, un petit tour d’horizon des remèdes existants.

La conception par l’agence de communication

Elle commence par le brief de l’annonceur, qui peut être réalisé par l’agence par exemple lorsque l’annonceur ne se sent pas qualifié pour son élaboration. S’ensuivent classiquement plusieurs étapes, le résultat de sortie de l’une constituant l’entrée de la suivante :

Benchmarking : c’est une exploration du secteur d’activité, des chartes communications et produits concurrents. En découle le choix de l’orientation générale : compiler le meilleur de l’existant / se démarquer.

Brain-storming général à l’agence.

Réalisation d’une planche d’ambiances : un patchwork d’idées graphiques, chromatiques, texturales, iconiques. Elle est en général soumise à l’annonceur, qui peut choisir ou indiquer ses préférences.

Création de 1 à 3 visuels, suivant les orientations retenues.

Soumission à l’annonceur, suivie du choix et d’ajustements.

Les délais sont en général très courts, à la mesure des budgets. La réactivité est de mise.

Pour ce qui est du visuel, ce processus de conception est adapté à une recherche d’efficacité immédiate.

Lorsque le visuel est d’importance majeure, identifiant la marque ou représentant son produit phare, il peut être fait appel à une étude consommateur, voir au neuromarketing 3.

Les études consommateurs

S’agissant d’un visuel que l’annonceur ou l’agence cherche à évaluer, qu’il s’agisse d’une publicité, d’un logo, d’un emballage, d’un design produit, la méthode la plus employée reste l’enquête consommateur directe, où la personne répond à des questions.

Celle-ci est un relevé d’opinion immédiat -les questionnaires sont nécessairement courts pour ne pas lasser l’interrogé-, par définition explicite (consciente) au sens où la réponse est toujours verbalisée -même si la réponse est de type oui/non, ce qui inclut le mode de réponse par appui sur un bouton, et dépersonnalisée car toute statistique suppose des réponses-type, donc ne reflétant pas exactement l’opinion de la personne interrogée.

L’analyse subséquente des données recueillies fournit un panorama d’attitudes (doute, rejet, approche, …) sur une liste de critères (esthétique, affectif, émotionnel, rationnel, …).

L’étude consommateur est un outil important, à caractère immédiat, explicite, impersonnel.

Le neuromarketing et l’imagerie

Eye-tracking

Le pistage oculaire (eye-tracking) donne des indications d’attractivité visuelle, critères pour une part connus par ailleurs. Il ne qualifie pas la réaction intra-crânienne donc ni l’identification ni l’émotion ni la cognition.

Le pistage concerne le commerce de supermarché où les produits sont linéairement concurrents. Un e-consommateur devant son écran ne peut être soumis à la même scène visuelle qui serait trop encombrée, avec un fouillis de produits indiscriminables. Le pistage ne pourrait révéler que le trajet visuel sur la page, donc concerner le design web.

Donc entre consommateur et e-consommateur tout diffère : scène visuelle, environnement, présentation et dimension des produits, ainsi que la stimulation sensorielle, car le deuxième est privé de texture (toucher), poids (pesanteur), dimension (vue), sonorité (ouïe), odeur.

Le pistage oculaire est un outil de qualification de l’attractivité immédiate. Son adaptation à l’e-commerce devra être explorée, ce qui en fait un outil très ciblé.

Imagerie

Les méthodes exploratoires du cerveau, qu’il s’agisse par exemple de débit sanguin (IRM f) ou de consommation de sucre (PET Scan), délivrent des clichés montrant des zones d’activation 4. On sait donc dire qu’il se passe quelque chose dans une région du cerveau fonctionnellement définie, mais sans savoir quoi.

L’imagerie est temporellement ponctuelle : réaliser ces imageries sur plusieurs heures, voire journées, voire plus serait un non-sens car l’effet du stimulus ne pourrait pas être décorrélé des événements de la vie courante et du train de pensées de la personne observée.

Les résultats visent souvent à évaluer l’émotionnel instantané. Si c’est un ressort connu de décision, ce n’est pas le seul, surtout dans le temps. En effet, le cortex préfrontal, décisionnel rationnel, est toujours actif, sollicité dans la vie courante par les activités et échanges sociaux, familiaux et professionnels. Son activation ne prouvera pas une attitude favorable ou non.

Outre le prix de ces investigations et leur interdiction en France car de finalité non médicale, leurs résultats, instantanés, restent imprécis et parcellaires.

Hors, le cerveau, lui …

… travaille à plein temps, et en particulier la nuit. On sait qu’il rappelle des éléments de la journée écoulée ou antérieurs pour les classer, évaluer, voire même faire des hypothèses, travail associatif de plusieurs zones corticales. Ce qu’un vieil adage : ‘la nuit porte conseil’ traduit depuis longtemps à merveille.

Une chaîne de traitement

Elle est incontournable :

stimulus visuel → sensation → perception → (émotion) → identification → cognition

Les images mentales reconstituées par le cerveau à partir des différentes mémoires interviennent dès la phase de reconnaissance de la scène visuelle, pour y réagir si nécessaire.

La mémorisation est à l’oeuvre dès les aires corticales visuelles primaires, en fin de perception.

Pour oublier ou retenir …

Le type de mémoire affecté, la qualité de mémorisation d’un stimulus visuel peuvent différer du tout au tout, et la durée de conservation aller de quelques secondes à plusieurs mois, voire plusieurs années.

En clair, un visuel peut être oublié dans les minutes qui suivent son apparition, comme survivre pendant des années. Ce n’est pas le type du visuel : logo, publicité, packaging, événementiel, …, qui en décide. Ce n’est pas l’annonceur, pas le graphiste, pas l’agence : c’est le cerveau.

Par association, un visuel peut surgir ou ré-apparaître à la conscience à tout moment, par exemple lors de la vie quotidienne. Des significations négatives, non imaginées lors de la conception, font ainsi surface, associant une scène vue ou vécue à une publicité presse par exemple.

… sans toujours le savoir !

De plus différentes études montrent que l’on mémorise non seulement ce que l’on a regardé, mais aussi ce que l’on a simplement ‘aperçu’, traité jusqu’à la profondeur de la cognition. Ces informations dites implicites affleurent à la conscience à l’occasion d’un rappel motivé par exemple par un indice ou une autre information visuelle congruente, ou bien déterminent des attitudes. Et elles sont très résistantes dans le temps.

Les avancées

En définitive, il apparaît qu’ un visuel conçu sans une exploration méthodique, perceptive, cognitive et mémorielle, a toutes les chances de rester lacunaire, voire déficient.

L’analyse d’un visuel en éléments fonctionnellement distincts oriente la réflexion par rapport aux connaissances actuelles en neuropsychologie notamment, mais aussi en neurophysiologie de la vision.

Ainsi l’évaluation de la façon dont un visuel nous atteint 5 sous-tend le type de mémoire 6 concerné, que l’on peut croiser avec des expériences en neuropsychologie récentes qui indiquent la profondeur de traitement visuelle, de perceptuel jusqu’à sémantique, corrélée à la qualité de la mémoire.

Il est alors possible d’estimer le mode de rappel probable -implicite ou explicite-, et une durée de mémorisation.

C’est pourquoi l’exploration des signifiés d’un visuel -tâche fondamentale et fondatrice de la sémiotique visuelle– peut très utilement être complétée d’une approche cognitive, mémorielle et temporelle : cette expertise globale est l’ Analyse Visuelle Opérationnelle.

Pour conclure ce long article, notons que dans notre exemple de tapis de bitume ‘avaleur’, une telle approche analytique et mémorielle aurait permis a minima de prévenir le risque.

Libre au lecteur d’imaginer d’autres situations qui associent /aspiration/ /ingestion/ avec /perte/ /danger/ /morsure/ …

2   d’origine culturelle (Jonas avalé par la baleine) ou personnelle (l’aspirateur a avalé la bague de ma femme, le chat a mangé tout cru le lapin nain des enfants sous mes yeux, etc…).

Je présente ici les choses séquentiellement pour simplifier les choses ; ce qui n’exclut pas certains parallélismes.

4   La recherche n’est pas encore capable de décoder la communication synaptique inter-neuronale, et ces ‘trains de potentiel’ entre neurones de plusieurs centaines de types différents communiquent vraisemblablement une information plus élaborée qu’un simple ‘on/off ».

Émotionnelle, abstraite, sensorielle, …

À long terme (MLT), au sens fonctionnel : perceptuelle, épisodique, …

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