Graphismes : c’est quoi, ça sert à quoi ?
Et que vient faire le cerveau là-dedans ? Commençons par le début.
Un graphisme, un signe graphique stricto sensu ne représente rien : un point, trait, forme, figure, contour, né du contraste franc d’un trait dessiné ou d’un contraste chromatique.
Si l’on prend l’image ci-dessus, le coquillage représenté en coupe à deux dimensions peut être vu comme un tube spiralé en trois dimensions, preuve que le graphisme est un outil essentiel de construction par le cerveau de ce qui est perçu.
Il y a des graphismes ouverts et des graphismes fermés ou contours, ces derniers étant des formes ‘libres’, des figures géométriques, ou des représentations iconiques, qui elles, représentent quelque chose : c’est la limite du signe graphique.
L’avantage de la visibilité
Les signes iconiques ressemblent à ce à quoi ils font référence. Les publicitaires du siècle dernier avaient recours à des contours simples et nets pour les décrire. Les moyens techniques d’impression étaient probablement plus limités et coûteux qu’aujourd’hui.
L’affiche était donc référente d’une réalité évoquée mais simplifiée, donc stylisée : on parle volontiers du style ‘année 30’ ou ‘année 60’.
Dans cet esprit de simplification, certaines chaînes de distribution sont aujourd’hui revenues avec succès à des emballages aux étiquettes très graphiques, où l’oeil accède immédiatement à l’information.
Cette simplification est bénéfique à la visibilité, voire même à l’attractivité, comme tendent à le montrer les neurosciences.
La détection des contours par le cerveau
La neuropsychologie et la neurophysiologie -l’une s’intéressant plus aux effets et l’autre aux causes- nous enseignent plusieurs choses :
- la détection du contraste passe par son augmentation dès la rétine. Ce qui permet de diminuer d’un facteur 100 le débit d »informations parvenant au cortex visuel via le nerf optique, le chiasma (croisement + répartition hémisphères gauche ↔ droit) et le tractus optique. Cette simplification est indispensable pour ne pas saturer le cortex.
- en analyse fréquentielle, les neurones parvo et magno cellulaires produisent deux perceptions complémentaires, l’une fine et détaillée (HF ou haute fréquence) mais lente, l’autre grossière (BF ou basse fréquence) mais rapide. Cette dernière repose donc sur la facilité d’interprétation graphique, donc sur des contours ‘épais’.
- les émotions primaires (joie, peur, colère, dégoût, tristesse), qui conditionnent la survie, reposent pour certaines sur la vision rapide imprécise de notre environnement, voire même sur ce que l’on appelle la vision dite ‘aveugle’ (celle-ci dépend d’une afférence du nerf optique vers le système limbique). Il y a ainsi un lien potentiel entre tracé épais et simple et déclenchement d’une émotion visuelle.
- au sein du cortex visuel, les images gauches et droites sont ‘mélangées’ en colonnes de neurones, tous sensibles à l’orientation, observable par tranche de 10°. Il existe donc bien dans le fonctionnement neuronal visuel une faculté de perception physiologique des contours.
- avant même que la preuve physiologique n’en soit apportée, il paraissait déjà intuitivement évident que le contour est le premier critère distinctif des éléments physiques de notre environnement. Ce qui a été démontré depuis sur la base d’expérience neuropsychologique. Ce sont notamment les conjonctions de traits qui sont essentiels à l’identification des objets d’une scène dite ‘naturelle’.
Ces détails explicatifs pour dire toute l’importance perceptive des lignes graphiques. Or d’autres professions s’intéressent aux tracés, du point de vue cette fois de l’écriture.
Les graphologues
Que viennent-ils faire ici ? Quelle est leur légitimité ? Voilà évidemment deux questions que tous les sceptiques vont poser.
Les graphologues partent d’un postulat qui est le suivant : il est possible d’approcher les traits de caractère d’un individu à partir des signes graphiques qu’il trace, et de l’orientation de sa ligne d’écriture . Le nombre des recruteurs qui font appel à cette technique plaide en faveur d’un tel postulat.
Dès lors la réciproque : un signe graphique produit du sens pour le lecteur, avec des signifiés potentiellement riches et complexes, peut tout aussi sérieusement être envisagée.
Bien évidemment, le graphologue s’appuie aussi sur un entretien avec le scripteur, et un signe graphique produit, dont on rappelle qu’il est polysémique par nature, peut être évalué positivement ou négativement, selon que ses signifiés constituent une force ou une faiblesse de l’individu.
Il en va exactement de même du signe visuel perçu par un lecteur, dont un signifié peut être ressenti positivement tandis qu’un autre le sera négativement, en fonction du contexte d’utilisation (proximité avec d’autres éléments visuels, position, dimension, …). Rien de bien nouveau : il n’y a jamais de signifié absolu d’un signe visuel, c’en est même toute la complexité … et le risque !
Or les signifiés que les graphologues associent aux signes du scripteur nous parlent de : dynamique, dépression, vitalité, impulsion, stabilité, souplesse, ouverture, construction, fécondité, … la liste serait longue, et cet article n’est pas un inventaire. Ce sont tous des signifiés indispensables de notre environnement vital.
Les signifiés mis en lumière par les graphologues coïncident en très grande partie avec ceux qu’évoquent des artistes et des enseignants en symbolique, technologies de la communication et en arts appliqués.
Les artistes
A l’appui des dires des graphologues, plusieurs artistes, parmi lesquels Klee et Kandinsky, ont écrit sur le signe graphique. Et l’on trouve une très grande correspondance entre les deux approches.
Ces deux peintres ont écrit par exemple sur l’épaisseur du trait, signifié d’énergie, sur cette figure géométrique vitale qu’est la spirale, symbole de toute croissance végétale avant d’avoir une traduction mécanique (la vis filetée), mais aussi perdition dans un puits sans fond, dans un parcours intérieur descendant.
Klee analyse le graphisme de la flèche en distinguant trait et empennage, significativement différents : le trait fixe la trajectoire mais reste bidirectionnel ; l’empennage décide du choix de la direction.
Kandinsky parle des tensions qui résultent des lignes et en particulier des angles, aigus, droits, obtus, selon leur position dans ce qu’il appelle le Plan Originel, que l’on peut traduire par le visuel limité à sa dimension.
Traits, lignes, angles produisent toute une palette de signifiés connus de l’expression artistique, variables en fonction de paramètres explicités.
L’enseignement : CML, NGO, JGT, AJS, TCE, YCA, Marc Caboni
Ces auteurs (voir Bibiographie) ont écrits des ouvrages ou des supports de cours de symbolique, de techniques de communication, de technique graphique, liste à laquelle je pourrais rajouter la sémiotique cartographique.
Les figures géométriques : cercle, carré, triangle, pyramide, …, sont largement étudiées par tous ces auteurs, avec une cohérence indiscutable quant aux signifiés : stabilité, force, élévation, unité, solidité, domination, crédibilité, épanouissement, exigence, … . Là encore l’exhaustivité n’est pas le but de cet article.
Les signifiés géométriques sont souvent abstraits et conceptuels. Nous les associons en grande partie de façon inconsciente, que leur origine soit culturelle, historique, ou simple propriété physique perçue de notre environnement.
L’illusion optique des segments non orthogonaux
L’observation des illusions d’optique de Zöllner, Poggendorf et Hering nous apprend que l’oeil (il s’agit en fait du cerveau) cherche à rapprocher de l’orthogonale des segments de droite présentés selon un angle aigu. Il pourrait exister une corrélation physiologique à cette règle, dans la représentation corticale de ce qui est capté par la rétine (cartes rétinotopiques).
De plus un segment vertical est perçu plus long qu’un segment horizontal de même taille (‘T illusion‘). Une explication plausible est ici que l’oeil, plus entraîné aux mouvements latéraux que verticaux parcourt plus vite le segment horizontal. Que faut-il penser des gratte-ciel que l’homme contruit de plus en plus élevés dans des endroits où l’étendue au sol ne lui opposerait aucune transgression ?
Il en résulte une reconnaissance et/ou facilité d’observation supérieures des angles droits et des lignes verticales.
Ces remarques n’ont rien d’anodin. Par exemple, l’homme connaît dans son environnement deux références directionnelles absolues : la verticale et l’horizontale. La verticale est définie par la quasi-totalité du monde végétal et -last but not least!- la position en équilibre de l’homme debout, symbole de l’homme vif. L’horizontale est définie par la surface de l’eau ‘stagnante’ (lac, horizon marin) et position de l’homme mort.
L’orthogonalité représente ainsi une opposition cognitive entre le vivant et le mort. Ce sont des signifiés planétaires fondamentaux, absolument indissociables de la notion de pesanteur.
Conclusion ?
Très simple : du graphisme, votre cerveau en redemande …
Je pourrais citer toutes les références à l’origine de cet article, ce serait affreusement fastidieux tellement elles abondent. Citons certains auteurs : MBT. (Muriel Boucart), SWI.1 (Capelli Sonia, Sabadie William), YCA.i (Yvan Celka) CCN.1 (Colo Catherine , Pinon Jacqueline), JWG.1 (Jan Warnking), CRT.1 (Cyrille Rossant), CPN.1 (Carole Peyrin), ALP.i (Anne-Lise Paradis), BML.1 (Benoît Maréchal).
Un coup d’oeil à ma bibliographie peut vous éclairer …